Rôle d’un patient partenaire dans un programme d’Éducation Thérapeutique du Patient dédié au lymphœdème ?
Quel est le rôle d’un patient partenaire dans un programme d’Éducation Thérapeutique du Patient dédié au lymphœdème ?
Voici un bel exemple de partenariat patient/soignant au CHRU de Tours : témoignage d’une patiente partenaire, Aurélie Gauguery et d’un médecin, Valérie Tauveron
Comment avez-vous rencontré le lymphœdème ?
Aurélie : En 2015, à 40 ans, on me diagnostique un cancer du sein. Après quelques mois de chimiothérapie, une intervention chirurgicale provoque un lymphœdème du bras et du tronc, aggravé ensuite par la radiothérapie.
J’ai été diagnostiquée immédiatement, et prise en charge par une kiné formée, mais mon lymphœdème continuait à évoluer défavorablement. J’ai expérimenté le manque de formation des certains professionnels, les longues listes d’obligations, d’interdictions irréalistes, les injonctions paradoxales.
Valérie : Je suis médecin généraliste et je travaille dans le service de dermatologie du CHU de Tours où une unité de lymphologie créée dans les années 1980 est labellisé Centre de Compétence. Le lymphœdème n’est pas une maladie qui est abordée durant les études médicales. Tout au plus le lymphœdème secondaire du membre supérieur après cancer du sein est-il cité comme un effet secondaire du traitement. Les autres lymphœdèmes secondaires et le lymphœdème primaire (qui fait partie des maladies rares) ne sont pas au programme. J’ai donc tout appris au contact de mes collègues médecins et kinésithérapeutes ! J’ai eu la chance d’être encadrée par des professionnels compétents et passionnés comme le Pr Vaillant, qui fut également Président de la Société Française de Lymphologie pendant de nombreuses années, ou par Marie-Clotilde Rasidy, kinésithérapeute, qui a consacré la plus grande partie de sa carrière au traitement du lymphœdème.
A quelle occasion l’Education thérapeutique du Patient est-elle devenue une évidence ?
Aurélie : J’ai mis 2 ans à retrouver une qualité de vie correcte, prenant en compte, mes besoins et aspirations en terme de vie professionnelle, vie familiale et amicale, activités de loisirs…. Et ce grâce à un programme d’éducation thérapeutique suivi à l’occasion d’une cure à Luz-Saint-Sauveur. J’y ai tout appris et redécouvert que les possibles sont ouverts. L’ETP place la qualité de vie et le projet de la personne au cœur et la pathologie à la périphérie en lui donnant des connaissances, des méthodes, et des outils dont il peut se saisir en fonction de ses besoins. L’ETP est un vecteur d’autonomie, de meilleure connaissance de soi, l’observance est vue comme un moyen et non comme une fin en soi.
De retour dans la Vienne, j’ai eu à cœur de m’impliquer localement pour que cette opportunité soit offerte à tous les patients concernés, j’ai passé un diplôme universitaire en éducation thérapeutique et prévention des maladies chroniques à médecine Sorbonne université en 2020/2021, ce qui m’a permis de rencontrer l’équipe de Dermatologie de Tours à l’occasion d’un stage d’observation auprès de Valérie. A la fin du stage, Valérie m’a proposé d’intégrer leur équipe en tant que patiente partenaire, j’étais ravie de pouvoir mettre en pratique et œuvrer concrètement à la mise en place d’un programme d’ETP.
Valérie : Le lymphœdème est une maladie chronique invalidante au traitement contraignant. L’importance de transmettre au patient une information claire, précise et étayée sur la pathologie et sa prise en charge est essentielle afin de permettre la meilleure adhésion possible à ce traitement. Cependant la seule transmission de l’information n’est pas toujours suffisante. Même si la maladie est la même, chaque patient est différent et la façon de s’approprier le traitement au quotidien va différer selon sa personnalité et son contexte de vie. C’est là qu’intervient le programme d’éducation thérapeutique. Celui-ci permet d’aller au-delà d’une simple transmission d’information. Chaque patient sera amené, en toute autonomie, à ajuster sa prise en charge à ses propres besoins. Cela nécessite certes de bonnes connaissances techniques (savoirs et savoir-faire) mais également une forme de mise à distance de la maladie pour une meilleure maîtrise de celle-ci : le patient ne subit pas le traitement, il gère ses soins. La maladie et le traitement ne sont pas au centre de la vie mais en constituent un des éléments parmi d’autres.
Quel regard portez-vous sur l’apport de l’autre
Aurélie : J’ai été particulièrement marquée par la qualité d’écoute de Valérie auprès des patients et l’attention portée à répondre à leur attendus et leurs problématiques individuels et à leur transmettre les informations nécessaires, s’assurer de la bonne compréhension, le tout avec beaucoup d’humanité. Je voyais les patients pris en compte dans leur entièreté et non via leur pathologie uniquement.
Valérie : La construction d’un programme d’éducation thérapeutique exclusivement tourné vers les besoins des patients ne peut se concevoir sans leur expertise. J’ai été contactée par Aurélie Gauguery en 2020 pour une demande de stage d’observation dans le cadre de son mémoire de DU d’éducation thérapeutique. J’ai été très rapidement conquise par la richesse de sa réflexion autour de la maladie et des relations soignants/patients. Sa participation à l’élaboration de notre programme d’éducation thérapeutique est apparue évidente.
Quelles sont les questions que pose la participation d’un patient dans une équipe de soin ?
Aurélie : Mon rôle est d’apporter un regard complémentaire, être vigilante aux attentes des patients et à leurs besoins. La première question est sans doute celle de la légitimité. C’est un rôle nouveau qui questionne sur notre place, sur la confidentialité des échanges. Il serait intéressant d’étudier l’évolution du regard des soignants sur ce rôle de patient partenaire avant et après la collaboration et de voir si celui-ci évolue.
L’éducation thérapeutique exige du soignant un certain lâcher prise et de remettre des choses dans les mains des patients. Ce n’est pas si facile pour des soignants qui ont une forte implication et qui attendent un travail bien fait. Laisser le patient se tromper, recommencer sans faire à sa place, parce que c’est en tombant que l’on apprend à marcher. Les soignants qui s’impliquent dans l’ETP ont envie d’avoir un lien et un échange de qualité avec les patients, ils sont attentifs, veulent faire au mieux. Je les ai aussi trouvés très créatifs. Et puis, il peut y avoir une tendance naturelle à vouloir transmettre son savoir. Or, le savoir nécessaire au patient n’est pas celui du soignant, qui reste l’expert. Raison pour laquelle d’ailleurs je refuse la désignation de patient expert et je lui préfère celle de patient partenaire.
De mon côté, la plus grosse difficulté est de ne pas pervertir le regard. Avec le temps, on acquiert des connaissances, du vocabulaire pour devenir plus que patient – moins que soignant. Il faut être attentif à rester patient partenaire.
Valérie : La participation d’un patient à l’élaboration d’un programme hospitalier ne va pas de soi chez les soignants. Après tout, ne sommes-nous pas des experts de la maladie et des traitements ? Que peut nous apporter un patient (ou une association de patients) que nous ne sachions déjà ? Cette réflexion, très crue, voire caricaturale, se pose pourtant régulièrement au sein d’équipes de professionnels. C’est pourquoi les formations autour de l’éducation thérapeutique sont essentielles. Elles nous permettent à nous, soignants, de cheminer et de comprendre que ce n’est pas la maladie qui est au cœur de la prise en charge mais bien la personne. N’oublions pas qu’à terme c’est l’amélioration de la qualité de vie des patients qui est recherchée.
La formation des patients experts est également essentielle à un partenariat riche et bilatéral avec des regards croisés constructifs. C’est ce que nous avons trouvé avec Aurélie, détentrice d’un DU, et son éclairage fut pour nous très précieux.
D’autres questions plus pragmatiques se sont posées comme le respect du secret médical. Quel encadrement faut-il proposer ? Nous avons choisi la signature d’une clause de confidentialité. La question de la rémunération du patient partenaire/expert est également évoquée et suscite beaucoup de débats et de controverses : de notre côté, nous ne l’avons pas encore résolue.
Ces questions témoignent aussi de l’évolution de la médecine et de la présence nouvelle de patients dans des groupes thérapeutiques. Nous sommes aux prémices de la collaboration réelle entre patients et soignants. Celle-ci gagnera à être développée et soutenue mais également à être encadrée pour rester bénéfique au plus grand nombre.
Quelles sont les questions que pose la participation d’un patient dans la mise en œuvre d’un programme d’ETP ?
Aurélie : C’est très riche d’intervenir auprès des patients. Je suis admirative des parcours des patients, qui ont souvent erré longtemps et eu beaucoup de difficultés pour arriver là. Nous intervenons en duo avec Valérie et nos interventions sont très complémentaires.
Valérie : la présence d’un patient partenaire enrichit les ateliers. Par une abolition symbolique de la barrière médecin-patient, elle favorise la circulation spontanée de la parole avec des échanges plus libres et authentiques.
Et si c’était à refaire ?
Aurélie : Sans hésitation, un grand oui. C’est riche humainement de rencontres avec les patients et les professionnels. J’y ai beaucoup appris et dans une ambiance agréable.
Valérie : C’est également oui, sans hésiter ! C’est une expérience passionnante, à la fois à la frontière et au cœur de la pratique médicale, que je souhaite à tous les soignants.