Témoignage de Patricia, patiente et infirmière

Elle montre l’importance de l’amour de son entourage, la bienveillance mais aussi la fermeté de ses médecins pour combattre les préjugés et idées fausses de leurs collègues et des services de recrutement. Sa propre atteinte lui a permis d’être une patiente-partenaire avant l’heure en rassurant et en mettant en confiance des parents angoissés au sujet de leur enfant malade. Par son exemple elle témoignage de la possibilité de mener une vie normale.

J’ai 61 ans et je suis née avec un lymphangiome kystique* du bras droit et du sein droit diagnostiqué à l’âge de 6 mois suite à une inflammation du bras. J’étais suivie par un pédiatre à Nîmes qui travaillait avec le Pr P (chirurgien infantile).
Mes parents n’étaient pas rassurés de confier leur enfant à un chirurgien, mais celui-ci leurs a conseillé de ne surtout pas opérer et de traiter les inflammations lorsqu’elles se produiraient. C’est ce qui a été fait durant toute mon enfance à raison de 7 à 8 par an qui nécessitaient un traitement antiinflammatoire et immobilisation du bras pendant une semaine environ.

J’ai grandi en devant faire attention de ne pas me cogner ni tomber car systématiquement il y avait une réaction au niveau du bras. Les antalgiques n’existaient pas à domicile à cette époque et il m’a donc fallu « apprivoiser » cette douleur pour mieux la supporter. Ce que je sais parfaitement faire maintenant.
Ma mère n’a jamais culpabilisé car elle a mené une grossesse sans aucune conduite à risque. Elle a toujours eu une attitude de protection tout en m’encourageant à gérer cette malformation afin de vivre le plus normalement possible.
Mon père a eu davantage de difficultés car à chaque nouvelle inflammation il ressentait la douleur de façon plus importante que moi! Mais malgré cela il m’a toujours soutenue pour apprendre des activités nouvelles tout en contrôlant les risques de chute (vélo, patin à roulette…).

L’enfance et l’adolescence n’ont pas été une difficulté pour moi car mes parents, mes camarades de classes et mes amis ont toujours être bienveillants à mon égard. J’avais compris ce qu’était cette malformation et comment je devais la gérer. Jamais personne ne m’a fait ressentir que cela pouvait être assimilé à un « handicap ». Il ne m’a pas été compliquée de l’expliquer.

A 17 ans j’ai eu une importante inflammation du sein, la première. Mon père m’a convaincue de retourner consulter le Pr P. Quelle bonne idée il a eu, puisque j’ai pu être adressée au Dr M qui avait rejoint l’équipe de chirurgie infantile et qui pouvait me proposer un traitement chirurgical.
Cette rencontre m’a permis de bénéficier d’une réparation physique grâce à la chirurgie et aux scléroses même si le traitement a été long et douloureux pendant des années. Mais toujours avec une écoute et une attention qui encourageaient à continuer.

Et le temps du choix professionnel arrive. Je demande au Dr M s’il y a une interdiction à exercer le métier d’infirmière. Il me répond qu’il n’y en a aucune et m’encourage dans cette voie.
Je passe le concours et le réussis à Montpellier. Mais la visite médicale de l’école ne se passe pas très bien. Un médecin ignorant de cette malformation souhaite me diriger vers l’école de la CRAM qui forme des personnes avec un handicap. Le mot est prononcé, mais je ne me sens pas concernée.
J’appelle le Dr M qui me rassure et qui se charge de lui adresser un courrier qu’elle n’apprécie pas beaucoup! Mais peu m’importe car la seule personne autorisée à me dire que je ne peux pas est le Dr M. Il est le SEUL qui a cette légitimité.
Mes études se terminent et j’obtiens mon diplôme d’état. Je postule au CHU de Montpellier et là encore je rencontre un médecin du travail ignorant qui refuse de prendre contact avec Dr M et qui ne signe pas le certificat d’aptitude. Je n’hésite pas à appeler le Dr M qui m’assure contacter la médecine du travail. J’ai exercé toute ma carrière en milieu hospitalier avec des équipes soignantes toujours bienveillantes et auxquelles j’ai toujours expliqué cette malformation sans appréhension.

Et je pense avoir été une soignante qui avait « un petit plus »! En effet, j’ai pu apaiser l’agressivité et l’anxiété d’une maman au cours de l’hospitalisation de son enfant en lui confiant que j’étais atteinte de la même malformation que son fils. Les interrogations de cette maman étaient: « Mais vous travaillez ? Vous êtes mariée ? Vous avez des enfants ? Donc vous vivez comme tout le monde ? »;

De ce moment-là, toute agressivité a disparu. C’est comme si tout redevenait possible.

Je crois avoir eu la chance de grandir dans un environnement familial aimant et bienveillant et qui m’a toujours encouragée dans mes prises de décision. Mais par dessus tout, c’est ma rencontre avec Mr M qui m’a permis de prendre conscience de la nécessité d’être accompagné et soutenu par des médecins compétents dans cette spécialité pour affronter les obstacles que nous avons toutes les chances de rencontrer.

Comprendre cette malformation est essentiel pour se construire. C’est certainement plus facile quand elle apparaît depuis la naissance. Mais j’ai toujours assumé mon corps sans complexe car je ne suis pas résumée à un bras ou à un sein. Mon corps porte les traces de cette différence et les cicatrices me rappellent combien il est important de prendre soin de soi. Et le regard des personnes, qui m’ont accompagnée durant toute ma vie, m’a aidée à prendre confiance en moi. Mon mari et mes enfants, à qui j’ai toujours tout expliqué, ont le souci d’être protecteurs et attentifs.

Malheureusement, Mr M est décédé depuis longtemps mais il restera la personne qui a consolidé ma vie. Il m’a suivie pendant 25 ans et son investissement professionnel a été au-delà de la chirurgie. Pour les patients, c’est précieux et je ne l’oublierai jamais.

Merci à Patricia pour son témoignage

*Que sont les lymphangiomes kystiques ?
Les lymphangiomes kystiques sont des malformations congénitales du système lymphatique. Ils forment des kystes de volume variable, macro ou micro-kystes, c’est-à-dire des cavités anormales remplies de lymphe. On les retrouve dans n’importe quelle région du corps, mais surtout au niveau du cou et de la tête. Ils s’accompagnent d’un lymphœdème plus ou moins important. Les complications sont fréquentes avec poussées très douloureuses liées à des phénomènes inflammatoires ou des hémorragies intra kystiques. Il peut se faire des écoulements à la peau qui se surinfectent (érysipèle)
Une compression est proposée si elle est possible (en fonction de la localisation). Les autres traitements sont décidés aujourd’hui en concertation multi disciplinaire : traitement par aspiration/sclérothérapie (injection d’un produit sclérosant dans la malformation) et/ou chirurgie. Certains traitements médicamenteux (Sirolimus) sont en cours d’évaluation dans des études cliniques. »